LA RAISON DES NATIONS

Pierre MANENT

Gallimard 2006

Notes de lecture de PJMB

 

Disons tout de suite que ce livre contient un certain nombre de considérations très percutantes. Mais par certains aspects, en particulier une forme de discours qui me paraît relever de la " disputatio " médiévale, ou qui fait appel à une compétence philosophique (ou sociologique ?) que je ne possède pas, il a du me passer parfois au dessus de la tête.

On trouvera ci-joint la copie de l'interview paru dans LE POINT

 

Objet du livre

Page 10 << le phénomène dont je parle, c'est l'effacement, peut être le démantèlement, de la forme politique qui depuis tant de siècles a abrité les progrès de l'homme, à savoir la nation...>>

Situation

<< Nous sommes tous aujourd'hui, du moins en Europe, entraînés et même emportés par cette idée, qui est aussi un sentiment, et même une passion, que l'humanité va vers son unification nécessaire...>>

L'empire démocratique tend vers l'annulation de toute différence collective.

Version américaine = activiste = une nation centrale modèle et garant

Version Européenne = quiétiste = une agence humaine centrale

Pages 16 à 18

Bref on construit un "KRATOS" sans "DEMOS".

Cette expansion spatiale s'accompagne d'un rétrécissement temporel, à savoir la condamnation du passé et la repentance généralisée.

Cette démocratie extrême qui enjoint le respect absolu des "identités" rejoint le fondamentalisme qui punit de mort l'apostat.

La démocratie

Définition de Tocqueville: "l'égalité des conditions".

Schéma de son évolution historique en trois zones concentriques

Pages 27 à 30 << la conception originelle, fondatrice de l'Etat moderne liait étroitement la considération des droits individuels et celle du pouvoir, ou de la puissance publique >>

<< aujourd'hui les droits ont envahi tout le champ de la réflexion et pour ainsi dire de la conscience >>

d'où << le "pouvoir des juges" qui constitue un facteur de plus en plus débilitant de la vie politique des nations européennes >>.

L'Etat souverain était un bouclier contre les dérives , une condition nécessaire à l'égalité des conditions. Pourquoi cet abandon en cours? Au départ il s'agissait de se protéger contre les dérives de notre propre protecteur, d'où la séparation des pouvoirs. Plus tard l'égalité étant entrée dans les moeurs, on a pu penser qu'on n'avait plus besoin d'Etat souverain. Enfin les fanatiques de l'abolition des différences remettent en cause la supériorité de l'Etat sur la Société.

Exemples:

L'abolition de la peine de mort (remplacée par le supplice de la prison) gagne du terrain.

Influence de l'Eglise catholique ( qui aurait viré au pacifisme accentué)

La nation

Le 11 septembre 2001 a fait prendre conscience des failles de la croyance que l'humanité tendait vers une unification (conscience qui avait pris de la consistance suite à la chute du mur de Berlin).

Pages 43 à 45 Considérations sur la puissance de la parole et la communication qui << par elle même ne produit pas la communauté >>

<< La cité grecque et l'état-nation européen sont les deux seules formes politiques ... qui ont été capables de réaliser l'union intime de la civilisation et de la liberté...>>

 

Pages 48à 55 Mais l'état est de moins en moins souverain et le gouvernement de moins en moins représentatif.

Après les traumatismes des deux guerres mondiales, la construction européenne, soucieuse de paix, a entamé la diminution de l'état-nation

Le développement de l'état-providence a amené

L'auteur estime que le chômage et la précarité ne suffisent pas à expliquer l'aliénation croissante des citoyens.

Il y aurait aussi une colère d'être mal représenté et l'angoisse de ne plus être représentable (de ne plus être un peuple, mais une juxtaposition de communautés). Le langage courant en témoigne, on ne dit plus prolétaires, ni couches populaires... il n'y a que des exclus (de la protection sociale). Or il n'y a pas de parti des chômeurs!

<<Nous élisons toutes sortes de représentants mais nous sommes plus qu'à moitié sortis du régime représentatif >>

Pages 57 à 66 satyre vitriolée de la construction européenne et de ses dérives

<< disproportion de plus en plus paralysante entre la faiblesse de coeur des communautés politiques et l'énormité de leurs instruments >>

Analyse des racines profondes de cette évolution

<< l'action humaine n'a plus pour nous de légitimité ... que si elle peut ( s'inscrire ) sous une règle universelle de droit - un principe éthique universel -

Cette radicalisation éthique des "démocraties laïques" se rapproche de ce qui semble son antagonisme extrême, le fondamentalisme religieux.

<< il faut réapprendre à parler politiquement de la religion ... >>, car << il n'y a pas de ... règle universelle de droit, qui permette d'arbitrer ... d'une manière conduisant à un peu de compréhension réciproque et de paix, entre ceux qui ne veulent connaître que les "droits de l'homme" et ceux qui ne veulent connaître que les "droits de Dieu" >>

La religion

Pages 75 à 92 N.B. Cette partie ne m'est pas apparue très claire

L'islam serait une religion objective ( je comprends basée sur des pratiques extérieures visibles), mais l'infécondité politique des tardifs mouvements nationalistes ( ou fondamentalistes) en terre d'islam est patente.

Le christianisme ( qui sous tend les démocraties occidentales, européennes et américaines) serait l'inventeur de la séparation de l'église et de l'état (même si pendant de nombreux siècles ce principe n'a pas été appliqué stricto sensu). Poussé à l'extrême cette pratique a conduit à l'exacerbation de l'éthique universelle et à la nostalgie d'une unité d'action politique perdue.

Le judaïsme, en butte aux persécutions que l'on sait, a engendré le sionisme. Selon Léo Strauss, l'Etat libéral est incapable de protéger la sphère privée (notamment religieuse), car l'interdiction de toute discrimination est la négation même du libéralisme.

Chaque camp cherche ce qui lui manque:

Si la valeur phare de la construction européenne c'est " l'ouverture à l'Autre", une telle construction contient le germe de sa propre destruction en tant que "Europe club géographique", car la limite de ce club serait l'humanité toute entière. De toutes façons, le reste du monde, notamment le monde musulman et Israël ne confondent pas Europe et Humanité.

Peut être le lapsus fut-il de ne pas admettre que l'Europe est un club chrétien?