Communication PJMB   été 2008




De l'information incomplète à la désinformation


Préambule

De la classe de math-élem à l'école Polytechnique, quand nous n'avions pas utilisé toutes les données fournies dans l'énoncé d'un problème de physique, c'est que nous avions fait une erreur quelque part.
A l'occasion d'une année d'études aux USA , j'ai été pour la première fois confronté à d'autres logiques. Tantôt les énoncés comportaient des données inutiles, tantôt il fallait au contraire rechercher dans nos livres de cours des données manquantes. Ce fut mon premier contact avec le bruit de fond de la réalité, l'information redondante, l'information incomplète.
Cet apprentissage m'a été fort utile dans la vie active. Ce d'autant plus qu'il fut complété, quelques années plus tard quand je découvris, au cours de tournées en clientèle avec des commerciaux, que la vérité d'aujourd'hui n'est pas forcement égale à celle d'hier et sans doute pas à celle de demain.
Bref, ce que, à mon époque, on n'enseignait pas à l'école, la vie dans le monde réel se charge de vous l'apprendre.

L'information

L'information c'est quoi ?
 Le contraire du hasard - par exemple un bon tuyau pour jouer aux courses.
 Le contraire du désordre- par exemple l'agencement régulier de molécules de chlorure de sodium pour former les cristaux de sel.
 Une caractéristique essentielle de tout ce qui est vivant. Des bactéries, et même des virus, jusque aux animaux supérieurs, l'information est omniprésente.

Un processus informatif comprend la captation de signaux faiblement énergétiques, la  construction d'un modèle du monde environnant, le choix d'une action efficace, c'est à dire optimisée en général sous l'angle de la dépense énergétique.

Dans ce qui suit nous traiterons exclusivement le cas de l'homme.
L'incertitude

Il faut s'y faire, nous vivons dans un monde incertain. Chaque jour, chacun de nous est amené à prendre des décisions sans jamais avoir toute l'information disponible : choix d'un itinéraire, choix d'un spectacle à aller voir, choix professionnel ... Nous y parvenons, généralement en un temps assez court, souvent par comparaison avec des situations anciennes, souvent par élimination de solutions potentielles plus que par une véritable recherche d'optimisation de modèle.

Que ce soit dans une existence individuelle ou à l'échelle de l'Humanité, nous acquérons de plus en plus de connaissances, mais il subsiste toujours une part d'incertitude dont il faut s'accommoder. Vouloir la réduire au delà de certaines limites n'est ni possible ni même souhaitable tant les coûts deviennent prohibitifs pour des bénéfices très minces. L'information est donc toujours incomplète.

On peut donc se méfier des consensus d'experts, ceux qui il y a peu nous disaient que le système de contrôle de la Société Générale était parmi les plus efficaces du monde.

Quelques acteurs

Les Scientifiques et les Ingénieurs

Ils font des calculs de plus en plus précis, avec des ordinateurs de plus en plus puissants et rapides, à partir de données imprécises, de lois pas toujours vérifiées dans le domaine d'application, d'objectifs flous et souvent contradictoires.

Les nouveaux domaines de l'engineering génétique, de l'environnement et de la climatologie sont des cas flagrants de cette évolution.

Les Journalistes

Leur métier c'est de récolter et diffuser l'information. Il est notoire qu'il y a des filtres dans cette retransmission. Filtre  personnel du journaliste, filtre de son rédacteur en chef, sans parler du filtre statutaire apporté par le propriétaire du journal ou de la chaîne de radio ou de télévision.

Les Commerciaux

Leur métier c'est de faire prendre des décisions d'achat. Ils savent que toute décision est un mélange de logique et de passion. Ils construisent des argumentaires commerciaux, mais le bon commerçant entretient toujours une relation émotionnelle avec son interlocuteur.
Les Diplomates sont une branche particulière des commerciaux.

La publicité est un des outils dont se servent les commerciaux. Un commercial spécialisé dans la publicité s'appelle un Créatif. Plus récemment, on a vu fleurir des Conseillers en communication, eux même spécialisés en communication de guerre, communication  de crise, communication politique, voire communication conjugale etc. Plus récemment encore, les conseillers en communication politique, face aux réactions des journalistes, se sont rebaptisés "Spin Doctors" (en américain docteur es bobards) .


Les Décideurs

Leur rôle est de tenir le gouvernail de l'action collective. Ils ont des tempéraments et des talents spéciaux. Ils savent hiérarchiser les objectifs et prendre des risques calculés pour y parvenir. Mais leur prise de risque dépend assez largement de leur statut personnel : entrepreneur individuel gros ou petit qui engage ses capitaux personnels, dirigeant salarié avec ou sans parachute doré, haut fonctionnaire et son statut viager de la fonction publique, homme politique qui vote les lois "au nom du peuple souverain" y compris celles qui régiront les avantages personnels du statut de représentant du peuple ...).

Les Experts

C'est souvent le bâton de maréchal des Scientifiques et des Ingénieurs, non seulement dans les sciences dures mais aussi la climatologie, la sismologie, l'archéologie, l'agriculture, et beaucoup d'autres disciplines telles que la sociologie, la psychologie, la criminologie, la politologie, et last but not least la communication ....

Ils basent leur autorité sur la reconnaissance de leurs travaux par la "communauté scientifique", c'est à dire la cooptation , voire l'autoproclamation.

De tous temps ils ont eu une relation ambiguë avec les décideurs, auxquels ils servent de conseillers mais aussi le plus souvent d'alibi. Les experts rêvent d'être les hommes de l'ombre du pouvoir. Certains deviennent alors des Faiseurs d'Opinion ( pensons à Alain Minc, Jacques Attali ...).

 Les Citoyens ordinaires

Ils font ce qu'ils peuvent, de temps en temps ils en ont ras le bol et se révoltent. De toutes façons ce sont eux qui payent l'addition.

Un peu de théorie
L'information est filtrée par le récepteur.

La théorie de l'information formalisée au XXéme siècle nous apprend que notre cerveau reçoit le flot d'information au travers d'un filtre personnel et n'en mémorise qu'une partie en utilisant la technique des "étiquettes".

Un exemple typique d'étiquette : chaque fois que dans notre groupe nous avons évoqué une femme politique, j'ai été frappé d'entendre la premier réflexe de nos participants de sexe féminin "elle est moche, elle est mal habillée ..."


Dans la deuxième moitié du XXème siècle la masse des connaissances accumulées a explosé, doublant probablement en cinquante ans tout le savoir accumulé depuis les origines. Le mouvement ne se ralentit pas, bien qu'il y ait ici et là quelques interrogations maladroites sur la question de la finalité de tous ces efforts.

L'honnête homme cultivé n'arrive plus à embrasser le quart du dixième de tout ce savoir. Le citoyen ordinaire encore moins.

L'information est orientée par l'émetteur

L'émetteur a toujours un but précis. Enumérons quelques exemples :

 Action psychologique -  Sun Tse dans l'Art de la Guerre nous explique que le but est de vaincre sans combattre, c'est à dire amener l'ennemi à se soumettre à l'autorité du vainqueur. Plus près de nous, Richelieu, Bismark, Hitler ont mis en pratique, en tout ou en partie, cette doctrine.
 Propagande - Le régime Nazi est un exemple extraordinaire de la mise en état de soumission de toute une population en s'appuyant sur des ressorts simples, la haine et la peur.
 Publicité - le but initial est de déclencher le désir d'achat du produit. On passe tout naturellement à la promotion de la notoriété de la marque, c'est à dire l'action sur les étiquettes mentales des populations cibles.
 Communication politique - Jusqu'aux années 1950 elle est basée sur la rhétorique, c'est à dire l'art de la parole en vue de convaincre les interlocuteurs par des argumentations logiques. La parole est relayée par la presse écrite et plus tard par la TSF. L'apparition de la télévision a entraîné une profonde mutation. Il faut faire court, de plus en plus court. Convaincre par des arguments rationnels a cédé la place à persuader en faisant appel à l'émotionnel (ce qui n'était pas nouveau) et finalement à séduire purement et simplement en occultant les problèmes de fond. Il faut faire simple, sans craindre de prendre le téléspectateur pour un nabot intellectuel.

La désinformation
Comme on l'a vu dans les exemples précédents, elle ne date pas d'hier.
Développons encore un peu en partant du plus simple :

Le mensonge personnel
C'est le stade zéro de la désinformation. L'enfant ment dans l'espoir de ne pas être puni. L'adulte ment dans l'espoir de ne pas être méprisé ou rejeté.

L'amalgame
Il peut être plus ou moins grossier. Il est tellement pratiqué que nous finissons par en détecter quelques uns. Dans la catégorie subtil je voudrais citer la promotion à la radio du dernier livre de Christian Jacq, qui donne à peu près:
En 1922 l'archéologue Howard Carter fait une découverte extraordinaire dans la vallée des rois : le tombeau de Toutankhammon.
Dans son dernier roman "Toutankhamon, l'ultime secret ", Christian Jacq nous révèle l'existence du plus grand  mystère de tous les temps soigneusement caché par le jeune pharaon. Qui saura le retrouver ?
Participez, vous aussi, à cette extraordinaire découverte.
On joue sur le fait que nombre d'entre nous a dans son cerveau une étiquette favorable aux choses cachées, trésors, complots, mystères. Il n'y a aucun mensonge dans cette publicité, à condition de comprendre que la dernière phrase se rapporte à Howard Carter et non pas à Christian Jacq. Mais l'auditeur moyen va la rapporter au récit de Christian Jacq et aura envie d'acheter le roman. Subtil n'est ce pas ?

Le réemballage des mesures déjà en vigueur et les effets d'annonce

Ces deux techniques de communication politique restent très à la mode en France. Je ne citerai pas les exemples récents au début du quinquennat en cours, mais un pratique déjà ancienne :
On annonce une loi cadre de programmation militaire avec des crédits importants ... répartis sur cinq ans . L'opinion publique ne se préoccupe pas de la réalisation. Il sera toujours possible de rogner le budget des dépenses qui lui est voté année par année.

Panurge -  Le cas des biocarburants

Il y a deux ans à peine on nous les a vendu comme la Solution à la pénurie annoncée du pétrole, à l'augmentation du CO² dans l'atmosphère, voire à la montée catastrophique des océans.
Les Etats Européens dont la France subventionnent ces produits, attirant ainsi des agriculteurs et des industriels.
En 2008, on commence à lire, ici et là, quelques bémols sur le bien-fondé écologique et même économico- énergétique de cette orientation. Encore un peu de temps et la désinformation sera patente. Mais les politiques feront-ils marche arrière ? Serait ce pas une diversion pour faire passer la réforme de la politique agricole commune ? Combien cela coûtera-t-il au contribuable ?

Le mensonge d'Etat

Appuyé sur les experts du SCPRI, organisme d'Etat, on nous a expliqué que le nuage radioactif après l'accident de Tchernobyl n'avait pas franchi les frontières de l'Hexagone. "Un mensonge répété dix fois reste un mensonge; répété dix mille fois il devient une vérité."

Le grand jeu - Le cas du Rwanda

En janvier 2007, nous avons écouté une conférence du Professeur et député Bernard Debré sur le Rwanda. Il retrace l'histoire de la région depuis le XIVème siècle, les deux ethnies principales, les Hutus (84% de la population), les Tutsis ( 15%) qui sont la classe dirigeante du royaume. L'impact du contact avec l'Occident : Allemagne 1894, Belgique 1918, France 1974. L'Occident fait pression pour appliquer la  démocratie ce qui favorise les Hutus majoritaires en nombre. Il s'ensuit des massacres inter-ethniques à répétition le plus souvent de Tutsis par les Hutus : 1959,  1962, 1963, 1972 , et les plus important 1994 qualifié de génocide.

Bernard Debré souligne nettement la préparation de longue date des massacres de 1994, le rôle machiavélique du général Tutsi Paul Kagamé, l'épisode du missile sol-air qui a abattu l'avion du président Hutu. Il décrit l'exploitation médiatique faite par Kagamé et ses affidés dans la presse occidentale pour impliquer la responsabilité de la France, de son armée, de ses services secrets après leur prise de pouvoir en 1994.

De retour à la maison, je cherche sur internet quelques renseignements supplémentaires et je constate que, dans le grand nombre d'articles parus sur le sujet, environ la moitié soutient la thèse Debré et l'autre moitié la thèse Kagamé. On ne sait plus à quel diable se vouer ! A l'époque j'ai laissé tomber.

En 2008, l'affaire rebondit. Bernard Kouchner va au Rwanda renouer des liens avec le président Paul Kagamé. Il présente des demi- excuses de la France.
Je vais à nouveau sur internet faire le point. Encore plus d'articles, comptes-rendus de commissions d'enquête...

On est en plein dans la désinformation. Chaque partie diffuse des informations contradictoires, mais qui lui sont utiles pour maintenir ses sujets dans l'obéissance ou placer ses pions sur la scène internationale.

La Propagande

On voit sur ces quelques exemples qu'elle est présente partout. Au sein du règne animal, l'espèce humaine se distingue par sa capacité à une communication sophistiquée au niveau des concepts, mais aussi par sa capacité de mensonge.
Je vous livre un témoignage passé à la télévision à propos des problèmes du Moyen-Orient.
"La propagande c'est : le mensonge organisé + le nationalisme + le divertissement non-stop."
Chacun pourra facilement transposer à d'autres situations.

Le rôle des nouveaux médias d'information

Chaque nouveau media marque la société son temps. L'apparition de l'imprimerie a permis la diffusion de la Réforme. L'apparition de la télévision a entraîné l'avènement d'une société de la persuasion. Même le dictatures les plus brutales font appel aux techniques de la persuasion.

L'apparition d'internet sera probablement un nouveau tournant. Tournant caractérisé par la profusion de l'information disponible à la demande. Par la multiplication  des canaux de transport de l'information, chaînes numériques, téléphonie mobile, satellite, réseaux câblés divers ... Par la facilité d'accès à la thèse et à l'antithèse, au sérieux et au bobard.
Profusion et facilité qui pourraient amener tout un chacun à la nécessité de faire le tri pour un coût énergétique acceptable.
Peut-être une société du débat populaire. Une société qui disposerait d'un espace autonome nécessitant, et permettant, de faire des choix et de les exprimer. Resterait à protéger l'internaute honnête, d'un coté du flicage, de l'autre de la récupération mercantile, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Conclusion

Face à ce trop plein de papier, d'images et de sons - livres de circonstances, verbiage, télé-insipidité de diversion  ou désinformation active, trois voies paraissent possibles:

-- Augmenter notre niveau d'analyse critique, démarche jusqu'ici coûteuse en énergie, avec le risque de sombrer dans l'inaction et le devoir subir.
-- Prendre parti, agir dans la ligne, au risque de devenir des "idiots utiles" de gauche ou des "godillots" de droite ( et, pour quelques uns seulement, des manipulateurs).
-- Militer individuellement (grâce aux nouveaux medias interactifs) en faveur d'une utopie déjà formulée par Hannah Arendt "pour une réhabilitation radicale du politique comme espace public, pluriel et autonome de délibération et d'initiative d'où toute forme de souveraineté serait idéalement bannie. Libertaire, ce projet joue de toutes les ressources d'un pouvoir vivant de dissensions multiples : nullement anarchique, il insiste sur l'idée de loi et tente d'assurer la solidité du lien politique en redonnant sens à l'autorité..."   librement consentie.