De la communication et des moyens de communication
« Je pense que ce qui nous vient des livres est de moins de poids que
ce que l’on peut entendre directement d’une parole demeurée vivante ».
Papias
J’ai choisi ce sujet ‘De la communication et des moyens de
communication’ dans un autobus, comme j’y observais un jour
avec peine un jeune homme, je ne dis pas « écoutant
», mais « pris » par son walkman, l’air absent,
inexpressif, pour ainsi dire privé de vie. A deux pas de lui,
une jeune fille, également étrangère à son
environnement, le portable à l’oreille, ravie, semblait en
communication avec le Ciel.
Brave new world … Je me suis dit : « Il y a réellement un problème … ».
C’est ensuite, en commençant à y
réfléchir, que je me suis rendu compte de la
démesure d’un tel sujet : je ne voyais dans
l’autobus qu’un tout petit aspect de la chose, et du reste
je me trompais même sur la signification du mot «
communication », dans lequel je concevais un échange entre
deux personnes, alors que, littéralement, la communication
s’exerce dans un seul sens.
Je dois donc pour commencer reconnaître l’insignifiance de
ce qui suit par rapport à un tel sujet et m’en excuser
auprès de vous. J’ai vu trop grand …
Mon misérable propos est au résultat de dire
d’abord quelques mots de la communication en soi,
d’esquisser ensuite un point de vue général sur les
moyens de communication du temps, d’évoquer en
troisième point, sans rien en développer, quelques unes
des questions considérables qu’ils soulèvent, pour
en arriver à une question de fond parmi d’autres :
avons-nous besoin de tout ça ?
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Parlons donc de la communication.
La consultation du dictionnaire nous apprend que communiquer
c’est ‘transmettre (le soleil communique sa lumière
et sa chaleur) ; révéler, donner connaissance, faire
partager ; être en rapport, relié par un passage ;
entretenir une correspondance, des relations’.
D’un point de vue humain, on peut donc dire que la communication
est un don que la personne fait d’elle-même, ou de quelque
chose qu’elle possède en propre (une connaissance, un
sentiment, une idée, un avis …).
Un don …
- Qui par nature s’exerce par conséquent dans un seul sens
: il peut en effet n’être pas reçu alors qu’il
est offert. C’est un don, ce n’est pas en soi un
échange, même si la façon dont il est reçu
peut le conditionner.
- Qui est libre (le personne qui communique n’est pas
obligée de le faire ; elle peut ne le faire que partiellement,
à un moment plutôt qu’à un autre, choisir sa
forme de présentation etc.).
- Qui est personnel (dans sa teneur, son expression, son caractère …).
- Qui justifie la personne, c'est-à-dire qui donne sens à
sa vie dans la communauté humaine : ce qu’elle est, ce
qu’elle a, elle l’est, elle l’a en effet pour tous.
Il en ressort que communiquer est pour chacun de nous la justification
de sa vie, une tâche dans l’existence, sans doute la
première à considérer, la grande
préoccupation à avoir. Le travail est naturellement une
façon de donner privilégiée. Mais la communication
est au dessus, parce qu’elle en sous-tend tous les aspects et
qu’elle s’étend bien au-delà, à tous
les aspects de l’existence.
En allant plus loin : la communication est à
l’évidence une nécessité absolue, à
la fois matérielle et psychique, de la vie humaine. Sans
communication il n’est pas de vie possible pour l’homme.
Quoique de nécessité vitale, on note toutefois que la
communication n’est pas forcément bonne par nature. Elle
peut concourir en effet aussi bien au mal qu’au bien.
On note aussi que ce n’est pas parce que l’on passe
beaucoup de temps en conversation ou en écriture que l’on
communique effectivement beaucoup. Le critère c’est ce que
l’on communique. On pourrait dire la même chose des cadeaux
ou des dons divers que l’on fait : ce n’est pas leur prix
qui importe, mais l’attention, l’idée, le cœur
de la personne qui l’offre (cf. épisode de la vieille
femme citée au temple de Jérusalem par jésus).
On note encore que, quoique l’on tienne
généralement la communication en bonne estime, dans la
pratique il est beaucoup de choses que l’on devrait dire que
l’on ne dit pas, et beaucoup d’autres que l’on
devrait taire et que l’on dit. Ceci le plus naturellement du
monde …
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Le propos n’est toutefois pas de s’étendre sur la
communication en soi, mais de traiter de son rapport avec les moyens de
communication de notre époque.
Pour parler de ceux-ci, il convient d’abord de distinguer entre l’outil et le moyen.
L’outil est dans mon esprit un objet fabriqué qui prolonge
‘la main’ de l’homme : un crayon, un marteau, un
porte-voix … L’outil n’a, en soi, aucune exigence.
Il est bon marché, universel et simple d’emploi, facile
à conserver, d’une fiabilité qui relève de
la certitude, et dont l’emploi demande un minimum
d’énergie, énergie toujours à disposition de
son utilisateur (celle de la main, du bras, de la voix …) :
pensons au crayon, au marteau, au porte-voix … Il est sans effet
sur le mode de vie sociale, les mentalités et les mœurs.
Le moyen est aussi quelque chose de fabriqué, mais
élaboré, lui, de manière à servir
d’entremise pour parvenir à une fin : un ordinateur, un
marteau-piqueur, un téléphone portable … Dans le
cas de la communication il en assure la transmission, il lui donne de
la puissance, il en permet le conditionnement (donc la manipulation),
il accélère les échanges et il les universalise. A
la différence de l’outil, il n’est pas bon
marché (quoique par rapport à la merveille technologique
qu’il représente il le soit), son emploi n’est pas
évident, il est fragile, d’une fiabilité qui
relève de la probabilité mais pas de la certitude, de
durée de vie assurément limitée, consommateur
d’énergie, d’une énergie extérieure
à son utilisateur. Par ailleurs, son usage dépend du bon
fonctionnement d’une nuée d’autres moyens, du
travail permanent d’opérateurs extérieurs et des
bon ordre et fonctionnement d’une vie sociale aujourd’hui
mondialisée. Les indéniables et brillants services
qu’il rend en font volontiers excuser, oublier et même nier
les aussi indéniables contraintes, à la fois
individuelles et collectives, et tendent à accréditer
dans l’esprit de tous l’idée d’une
libération et d’une sécurité qui occulte
complètement la réalité d’une
dépendance, d’un asservissement et d’une
précarité sans pareils, fantastiques, absolument uniques
dans l’histoire connue. Et là, à la
différence de l’outil, son impact sur la vie sociale (son
organisation, son design, ses rapports, sa culture, sa
mentalité, ses mœurs …) est par nature
considérable, non que l’outil y soit par lui-même
pour quelque chose (ce n’est ni plus ni moins qu’un
objet mort), mais le recours que l’on a à lui, recours qui
passe dans nos esprits pour incontournable, souhaitable et la marque
d’un grand progrès.
On ne peut s’empêcher de penser ici au mythe de Babel, avec
sa prétention, son illusion et son issue. Je
l’évoque donc. Mais à regret, ne pouvant faire
autrement, car l’évoquer c’est porter un jugement en
somme négatif sur la réalité dans laquelle nous
sommes solidairement embarqués, qui nous dépasse
absolument tous, y compris bien entendu le misérable
conférencier que je suis ! Mais l’évoquer a quand
même l’avantage d’éclairer le formidable
défi philosophique auquel nous sommes confrontés :
pourquoi, pour communiquer, délaissant l’outil, les
modernes que nous sommes ont-il recours à ces moyens et y
sont-ils désormais astreints ? Qu’est-ce que cela signifie
?
La construction de la tour était assise sur un projet
métaphysique : ‘Allons, faisons cuire des briques et
construisons une tour qui monte jusqu’au ciel’ (propos
mythique s’il en est !).
La construction de la nôtre est également assise sur un
projet métaphysique, comme l’est, explicitement ou
implicitement, toute organisation de vie humaine communautaire. Or le
recours aux moyens en question est cohérent avec ce projet, et
ne peut être que cohérent avec lui, parce qu’il en
découle logiquement : ce n’est ni plus, ni moins que sa
mise en application. Nous progressons dans la
matérialité des choses parce que c’est là
que, collectivement, nous mettons notre foi, notre confiance et notre
ambition. Le prix à payer est, inévitablement, celui
d’un asservissement grandissant à la matière, parce
que la matière obéit à des lois – ce que
nous ressentons inévitablement en termes de temps et
d’argent à consacrer, de contraintes, de
dépendance, de vulnérabilité, de
précarité etc., et d’une manière
générale de complexité, de méfiance et
d’agressivité dans les rapports économiques et
sociaux.
Je ne saurais aller plus loin ici dans la réflexion sur un tel
sujet : il me dépasse comme je l’ai dit, je ne suis pas
philosophe de métier et pas prophète non plus. Mon propos
est simplement de signaler ce qui est pour moi une vraie question, une
question qui me préoccupe grandement à cause de nos
petits enfants. Parce que, à mes yeux, la réponse
à cette question est vitale pour leur avenir.
****
En parlant ‘moyens de communication’, je pense
concrètement à tous les dispositifs matériels qui
sont utilisés aujourd’hui en la matière : le
téléphone, la radio, la télévision, le net
bien sûr, mais aussi tous les appareils associés -
walkmans, Mp3 ou équivalents, GPS, lecteurs, enregistreurs
…
(J’ouvre ici une parenthèse pour faire observer,
c’est important, que tout homme a à sa disposition des
moyens naturels de communication, fondamentaux, qui sont au moins la
voix, le regard, l’expression, le geste, l’attitude, le
toucher …, et en plus, je le crois, une faculté mentale
pratiquement inexploitée, qui passe au-delà du physique
et n’est donc tributaire de rien de matériel. En
matière de communication, tout part toujours de là. Le
corps, et peut-être ou sans doute l’esprit, sont les moyens
fondamentaux de communication.)
Je referme la parenthèse pour dire qu’en
m’intéressant aux moyens de communication dans leur
rapport avec la communication elle-même je me suis trouvé
face à un monde de questions chacune considérable, telle
que n’importe laquelle pourrait faire l’objet d’une
ou plusieurs thèses, d’études, de colloques,
d’ouvrages … : je ne saurais quant à moi rien
en dire ici de consistant, de sérieux, ni évidemment de
complet.
On peut en effet traiter des moyens de communication sous bien des angles …
- Celui de l’économie familiale par exemple : quelle part
du budget passe en dépense du genre ? Comment évolue
cette part au fil du temps ? Comment se répartit-elle, suivant
les ‘couches’ de la population ?
Chez nous par exemple, la communication a coûté en gros
1. 3 381 € en 2006
2. 2 158 € en 2007
3. 2 975 € en 2008
On note : entre deux et trois fois le SMIG chaque année.
- Celui de l’économie générale, et là
traiter du monde des matériels, ou de celui des services, des
emplois, des marchés, des dépendances et
disparités, de la sécurité …
- Celui de la sociologie : quels contenus peut bien avoir la
communication pratiquée ? De quels poids pèsent-ils ?
Quels fruits portent-ils ? Comment la communication est-elle
perçue, traitée enregistrée … ? Avec quel
impact sur l’individu ou la collectivité ? Quels rapports
avec l’évolution de la culture, des mœurs … ?
de la santé ? partant de la sécu … ? Quid des
conséquences psychiques possibles sur l’enfance, la
jeunesse, la société toute entière de
l’imbrication de deux mondes, l’un réel, et
l’autre virtuel ? …
- Celui encore de la philosophie ou de la métaphysique : on
l’a dit précédemment, la vie de toute
société humaine est conditionnée par une vision
métaphysique qu’elle a de l’existence. A quelle
vision correspond donc ce recours grandissant, désormais
semble-t-il incontournable, au matériel pour communiquer ?
Comment se fait-il que cette évolution soudaine, universelle,
bouleversante dans les rapports, échappe à tout
contrôle ? Si elle échappe à tout contrôle,
où peut-elle donc mener ? N’y aurait-il pas là une
forme d’imposture … ? d’idolâtrie … ?
etc.
*c ***
Bref, devant toutes ces pistes possibles je ne puis que
m’arrêter et m’excuser encore d’avoir choisi le
thème qui nous occupe. Mais avant de terminer, je voudrais dire
deux mots d’une question essentielle à mes yeux, qui est
celle dont j’ai parlé tout à l’heure :
avons-nous besoin de tout ça ?
En la matière il y aurait beaucoup à dire, qui pourrait
ou devrait encore faire l’objet de réflexions, recherches,
colloques, débats … On peut faire en tous les cas
d’emblée trois observations à ce propos, qui
méritent il me semble attention :
- La première c’est que l’on a vécu des
millénaires sans ; notre génération en est
témoin, qui a connu dans sa jeunesse une vie n’en
disposant pas, et qui n’imaginait même que ce puisse
exister. On peut donc dire que, intrinsèquement, nous
n’avons effectivement pas besoin ‘de tout ça’
pour vivre.
- La seconde, c’est que si, intrinsèquement, nous
n’avons pas besoin ‘de tout ça’, nous vivons
toutefois dans un monde qui en a généré le besoin,
un véritable besoin : il ne saurait subsister sans. Quoique
l’on puisse en penser, on n’a pas le choix, il faut faire
avec, et le mieux que l’on puisse faire dans ce sens est
d’accompagner le mouvement. C’est là qu’il
faut du discernement. Faire avec sans se laisser asservir, sans en
dépendre d’une manière ou d’une autre : ce ne
peut aller sans une ascèse certaine. Les dits moyens de
communication à disposition ne sont pas là pour faire,
comme dirait St. Paul, ‘ce qui nous plaît’, mais pour
être employés au soin de la Création, au service
les uns des autres et pour l’amour de Dieu. C’est le
critère, et c’est le repère.
- La troisième enfin, c’est que si c’était
nous qui étions les auteurs de la Création, il y a tout
à parier que voyant la détresse humaine, le drame de sa
condition mortelle et son besoin d’un salut, pour
l’efficacité de la diffusion du message à lui
délivrer, nous aurions attendu qu’elle en soit
arrivée au niveau de développement que nous lui
connaissons aujourd’hui et nous aurions choisi
l’Amérique du Nord comme plate-forme de départ. Or
c’est précisément ce que la Créateur
n’a pas fait. Il n’a même laissé aucun
écrit. Plus près de nous, Mahomet, dont on ne peut nier
la puissance du témoignage, n’a laissé lui non plus
aucun écrit. Ceci ne donne-t-il pas à
réfléchir sur la nature et sur les voies d’une
véritable communication ?
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