Communication Gisèle  été 2009

Le COLLOQUE SINGULIER entre le médecin et son patient
est-il encore possible avec l'intrusion de l'informatique


Préambule

J'ai mal choisi mon propos et je veux dire avant tout que j'apprécie tellement l'informatique que mon ordinateur me manque quand je suis en vacances et je pense comme l'ont dit Jean-François, Claude et les autres ce matin, que l'informatique est une bonne chose et que seule une utilisation inadaptée peut la rendre néfaste ou génante.


Je passe donc à mon propos sur le colloque singulier est-il encore possible avec l'intrusion de l'informatique.

Je vous donne mon plan :

-définition du colloque singulier
-arrivée de l'informatique
-réponses à mettre en place



1- Définition du colloque singulier
Le terme colloque vient du latin colloquium, il s'agit d'une conférence, d'un entretien dans lequel on s'efforce d'éclaircir un point précis ou de prendre une décision.
Le colloque singulier est en quelque sorte un entretien avec le médecin qui offre une aide au patient, afin d'éclaircir le diagnostic, ou à prendre une décision thérapeutique, intervention ou autre traitement.

Généralement, le médecin, pour commencer le colloque singulier, après vous avoir prié de vous asseoir, vous dit sur un ton interrogatif et qu'il vaut mieux bienveillant : «  que puis-je faire pour vous? »

Tandis que le patient essaie d'expliquer les motifs de sa venue, le médecin écoute de manière attentive, tout en prenant quelques notes, interrompt parfois le récit pour faire préciser quelques points : « quand est ce que çà a commencé ?  est ce la première fois ?  tous les jours ?  après les repas?  y a t-il des jours où vous vous ne sentez rien ?  et la nuit ?  et aujourd'hui par exemple que ressentez vous ?  avez vous pris des médicaments ? etc...»

Aprés quelques commentaires du genre «  mmh ! » ou « je vois » ou ce « ce doit être très pénible » Le médecin en général enchaîne avec : « Eh bien nous allons voir çà ! »

Il vous demande de vous déshabiller, de vous allonger et vous examine. Avec le stéthoscope, il ajuste les écouteurs, pose le pavillon sur le thorax, fait respirer en ouvrant la bouche, dites 33, tousser, il prend la tension artérielle, une fois, deux fois...

Puis vient le moment des conclusions, on explique, on donne les instructions à haute voix. On a participé au COLLOQUE SINGULIER.

2 - Arrivée de l'informatique

Tout se gate avec l'arrivée de l'informatique. J'ai parlé d'intrusion : l'informatique a été mise en place par les caisses d'assurance maladie sans demander l'avis des intéressés. Les questions prévues par l'informatique sont des questions demandant des réponses brèves et précises, il n'y a pas de place pour l'Histoire.

« quelle est votre date de naissance?  avez vous été opéré?...» L'oeil du médecin est toujours braqué sur son écran, il doit remplir les cases, il pose donc les questions l'oeil rivé sur l'ordinateur, le patient répond mais il n'y a plus de place pour le colloque singulier, l'écoutant n'est plus disponible et le patient subit le feu des questions.
A une question correspond une réponse mais le charme de la conversation est rompu.

Nous devons donc nous méfier de l'irruption de ce troisième élément dans notre colloque singulier. Il nous donne sans doute l'impression de ne plus être en tête à tête, il y a la relation médecin- patient et médecin- ordinateur, l'ordinateur donne l'impression d'être une tierce personne, il n'incite pas à se confier sous le sceau du  secret médical.


3 - Réponses à mettre en place

Le souci de la communication,de ses limites,de ses hasards ne me quitte pas. Car pour moi la vie c'est entrer en contact avec mon prochain et donc communiquer.
 
Quel est l'intérêt d'être sur terre et se retrouver face à soi, je ne suis pas sure qu'il puisse y avoir une vie réellement solitaire; notre arrivée est déjà le fait d'un don de nos parents, l'enfant nouveau né ne peut se développer seul ;  il faut l'allaitement maternel et les bras des parents pour guider ses premiers pas.
Déjà tout petits les enfants nous surprennent par leur désir de communiquer, ils semblent s'accrocher par leur regard aux visages de leurs proches.
Il nous semble donc que la communication est dans l'essence de l'homme et cependant il n'est pas facile de communiquer.

Toute tentative de communication est comme si notre message est une bouteille jetée à la mer. On croit être compris et il n'en est rien; on croit être incompris alors qu'on est percé à jour et tout à l'avenant.

Cela étant et fut-ce dans les conditions les plus favorables, les choses ne sont jamais faciles et ne vont jamais de soi. Il reste toujours une marge d'interprétation, d'où naissent et prolifèrent des contre-sens, des malentendus, des conflits; et cela bien souvent en dépit des meilleures intentions du monde, du moins affichées.

On vante la qualité d'écoute mais on ne peut éviter le « mettez vous à ma place », chacun campant sur ses positions.
On vante le sens du dialogue censé rendre efficace les échanges de points de vue, mais tout semble se dérouler par une infinité de monologues parallèles auxquels on assiste à longueur de journée entre syndicats et patronat par exemple.

Mais je vais me pencher sur le colloque singulier

Comme avec les enfants, le premier regard est important. Il est important pour le médecin qui peut voir d'emblée dans le teint de la peau (trop émacié, pâle, anémique, trop haut en couleur) autant de signes qui pourront orienter le diagnostic, scruter le regard qui peut être : confiant, naïf, ou au contraire méfiant, inquiet, malheureux.

Après avoir dit quelques mots dans la position du médecin j'essaie de me mettre à la place du patient.
Certains patients de mon père, qui exerçait en médecine générale, disaient « Docteur le seul fait que vous entriez dans la chambre avec votre sourire nous apporte déjà un grand soulagement » . Il est de fait que Papa avait un sourire bon, il aimait ses patients, il voulait les sortir du mauvais pas qu'ils traversaient et cela se ressentait sur son visage

La parole vient ensuite. Et là que d'informations données par le ton de voix, chevrotante chez une personne affaiblie, susurrée chez une personne hystérique ou paranoïaque, haute chez un sourd.

Enfin, nous les médecins,  avons une position tout à fait privilégiée car nous sommes en tête à tête (colloque singulier) et nous sommes les seuls, à part les amis intimes, à pouvoir partager les secrets lourds à porter. Soit souci personnel de santé, soit souci personnel psychologique de relation familiale.

Je me souviens avoir pleuré avec une femme vue en médecine du travail, qui avait perdu son fils, nous avons toutes les deux pleuré, il y avait une communion entre nous très forte et, même si je n'étais d'aucune aide pour retrouver son fils, elle a sans doute était soulagée d'avoir partagé sa souffrance.


Je me pose la question actuellement des rapports médecins patients avec la présence de l'ordinateur ? J'ai eu l'expérience chez ma gynécologue de cette femme par ailleurs très élégante et intelligente avec l'œil braqué sur son écran, je me demande si elle est capable de me décrire ? Elle est de profil, jamais un regard, cela n'incite pas à la confidence, elle ne me pose pas de question où si elle pose des questions c'est pour avoir une réponse précise sur la date de mes derniers rendez vous, la dernière mammo....elle les note immédiatement sur son clavier, je ne peux pas lui raconter ma vie, mes petits soucis, philosopher sur les rapports entre les hommes et les femmes, j'ai la vague impression qu'il s'est interposé quelqu'un : « l'ordi » et que nous ne sommes plus en tête à tête il faudrait partager ma vie avec cet instrument aussi !

Je me demande si cet instrument n'est pas entré dans nos vies et n'occupe pas autant de place qu'une personne. Et pourtant nous n'avons rien à attendre de lui.  Il ne peut rien nous apporter de nouveau, il ne peut apporter que ce que nous y avons mis et je me demande si l'ordinateur ne va pas par ce biais nous rendre encore plus individualiste.

Je vous pose la question ! Il n'y a pas qu'en médecine qu'existe le danger. Il est très facile d'avoir une seconde vie sur l'ordinateur et on peut être en présence de son mari ou de son épouse, en présence de clients, ou d'amis et, tout en étant présent dans la même pièce, avoir une vie parallèle sur l'ordinateur.