(Echanges. Contribution Jean-Paul M. février 2008)
L’âme
allemande
Avant-propos
La « question allemande » dans un
précédent texte m’avait
amené à proposer que l’ «
unité allemande » se soit progressivement
organisée autour de la notion de « Kultur
».
La lecture de « Les racines intellectuelles du
IIIème Reich, la crise de l’idéologie
allemande » par George Le Mosse (Calman Levy 1964, traduction
française 2006) m’a conduit à penser
qu’il s’agissait plutôt d’
« âme » que de «
Kultur ».
Cet ancien Juif allemand, émigré aux Etats-Unis
en 1933 (professeur émérite d’Histoire,
à l’Université du Wisconsin) a
repéré, entre autre, l’importance du
mouvement völkisch comme constitutif d’une
« unité allemande », sur laquelle
s’est appuyée Hitler pour accéder
à une « idéologie national-socialiste
».
Il s’agirait donc plutôt d’une
« âme » allemande que d’une
« Kultur.
Importance
de
la notion de « völkisch » dans la construction de
l’Unité Allemande
Le « Volk » désigne quelque chose de
beaucoup plus profond que le peuple. C’est le « peuple d’un pays
».
Il s’agit d’une essence transcendante.
L’appartenance allemande représenterait une
individualité et à
la fois une unité avec les autres membres du
Volk.
Il s’agit de la relation de
l’âme humaine avec l’essence de la nature
partagée avec le Volk dans une communion de paysage.
Pour le romantisme allemand, la « Naturwissenschaft
» est une foi
dans le rapport particulier de l’ « Etre
allemand » avec son environnement spécifique.
Il faut bien comprendre qu’il s’agit non pas de la
nature en général mais plutôt
du « paysage », du « pays qui a
donné naissance au « Volk » allemand.
Ces notions difficilement traduisibles en français de
« Heimat » et d’ « Heimatlos
», de « Volk » et de «
völkisch », de « Naturwissenschaft
», ne peuvent être éclairées
que par un faux sens hypothétique : les Allemands sont des
« paysans » (mais en rien des agriculteurs). Ils
sont des « paysans » de leur « pays
».
Ils sont nés dans de sombres forêts brumeuses et
mystérieuses et ils quêtent la lumière.
Ce sont des gens de lumière « Lichtmenschen
».
Ils sont nés aussi dans des terres arables,
fécondées par les pluies,
généreuses en production de tous ordres.
Qu’auraient-ils donc à voir avec les Juifs, issus
d’une terre désertifiée par la
surabondance de soleil ? si ce n’est de les annihiler ?
D’une part un peuple de l’ombre féconde
et généreuse et d’autre part un peuple
du soleil asséchant et stérilisant ? Il y a des
ressorts mythiques dans l’antisémitisme radical du
nazisme.
A titre d’anecdote significative :
Fiedrich Ludwig Jahn, professeur à
l’université de Berlin, avait fondé le
mouvement « Fraternités
» (Brüderschaften) en vue de propager la «
culture allemande » et d’encourager les jeunes
Allemands à développer leurs corps pour pouvoir
combattre en faveur de l’unité de leur «
pays ».
En 1817, ces fraternités
se réunirent dans le château de Wartsburg pour brûler les
livres étrangers qui avaient empoisonné la vraie
culture du Volk germanique. Donc, 1817, un premier
autodafé, suivi par combien d’autres ?
Avant la guerre de 1914, les effectifs de ces jeunesses,
regroupées sous le nom de « fraternités
» ne dépassaient pas 60.000 individus.
Après la guerre, ils étaient plus de 100.000.
Ici, la quête d ‘une « pensée
allemande » coïncidait avec la quête
d’une « idéologie »
nationaliste, mais également sociale.
L’idéologie « Völkisch
» a été le soubassement populaire de
l’idéologie nationale socialiste.
Encore faut-il ne pas confondre culture et civilisation, «
acculturation » et progrès ».
La recherche confuse d’une « âme
allemande » ne pouvait se trouver que dans un «
paysage allemand » (par comparaison, les
Côtes du Nord de la Bretagne auraient
façonné une âme « pain-sel
», alors que le Morbihan, au sud, aurait
façonné une âme « pain-beurre
» !
Ce qui circule dans la définition d’une
âme allemande présuppose un rapport nord-sud
enracinant l’Allemagne dans le Nord Continental. En
effet, l’Allemagne, malgré ses 500 km de
côtes, limitées au nord du pays, n’est
que relativement maritime.
C’est un pays foncièrement continental qui a eu
l’opportunité d’établir
commerce avec l’ « ailleurs » (voir la
« ligne transatlantique », avec l’
« outre-mer ».
Mais d’ailleurs, c’est l’Etranger, cet
étranger qui est si incompatible avec une «
identité nationale », étranger
qu’il faut soumettre ou détruire.
L’âme allemande des brumes
généreuses et fécondes du nord,
enracinée dans le sol, véritable humus, ne
pouvait supporter un Juif errant à la surface de la terre et
moins encore d'un désert.
Il ne peut être qu’un prédateur des
véritables producteurs.
Un exemple concret : dans le cas de mauvaises récoltes, ce
sont les Juifs qui pouvaient prêter de quoi survivre
à des paysans allemands. Et ces prêts
étaient souvent vécus, à tort ou
à raison, comme usuraires.
C’est en basant sa démarche sur
l’antisémitisme que Hitler a rejoint l’
« âme allemande » dans son
désir d’unité.
Néanmoins, pour Riehl, apôtre du
völkisch, les fondamentaux de l’âme
allemande ne se réduisaient pas à
l’antisémitisme. Pour lui, la nostalgie
d’un ordre rural était essentielle. Une
comparaison, pour nous accessible, est le « retour
à la terre » prôné par le
maréchal Pétain.
Pour Riehl, il convenait que l’ « ouvrier
» retrouve son moi personnel et créateur lui
permettant de fonctionner comme un « artisan
médiéval » plutôt que comme
un prolétaire moderne aliéné.
Le prolétariat était l’ennemi
à vaincre car il ne pouvait être enraciné.
On ne peut pas s’enraciner dans une ville :
« Berlin est le domaine des Juifs
»
« Les villes sont les tombes du
germanisme »
Donc, sus aux citadins ! !
l’âme a ses ressources dans la glèbe ! !
L’âme allemande colle à la terre du pays
(Heimat)
Elle se façonne avec les brumes fécondes du nord,
avec le rythme respecté des saisons, avec la
fertilité du terroir.