Le terme "valeur", au singulier comme au pluriel, est assez flou.
Surtout de nos jours, où divers acteurs de la vie publique
s'en
sont emparé et s'y réfèrent avec
ardeur,
particulièrement en période de campagne
électorale.
Le dictionnaire "Le Robert" donne de nombreuses définitions
de
ce mot dérivé du latin 'valor', entré
dans notre
vocabulaire par la Chanson de Roland au XIème
siècle.
I- Relativement aux personnes
a/ Ce en quoi une personne est digne d'estime au regard des
qualités que l'on souhaite à l'homme dans le
domaine
moral, intellectuel, professionnel (voir Mérite).
b/ Courage et hardiesse au combat (vieilli, voir Bravoure).
II- Dans le langage courant
a/ Caractère mesurable d'un objet susceptible
d'être
échangé, d'être
désiré ( voir Prix).
b/ Qualité d'une chose fondée sur son
utilité objective ou subjective ...(valeur d'usage).
c/ Nom générique des titres cotés en
Bourse.
III- Référence à un système
a/ Caractère de ce qui répond aux normes
idéales de son type (voir Mérite, Force,
Grandeur...).
b/ Qualité variable de ce qui mérite plus ou
moins l'estime (voir Qualité).
c/ Qualité de ce qui produit l'effet souhaité,
est utilisable efficacement (voir Efficacité).
d/ Caractère de ce qui est important (voir Importance,
Portée).
e/ Caractère de ce qui satisfait à une certaine
fin (valeur éducative d'un exercice).
f/ Caractère de ce qui est estimé subjectivement
et
posé comme estimable objectivement (valeur morale,
esthétique).
g/ Deuxième moitié du XIXème
siècle "
valeurs morales, sociales, esthétiques..." Ce qui est vrai,
beau, bien, selon un jugement personnel, plus ou moins en accord avec
celui de la société de l'époque.
IV- Mathématiques Mesure d'une grandeur ou d'une
quantité variable.
Divers -
Quantité approximative.
Divers
- Mesure
conventionnelle attachée à un signe ( valeur
d'une carte
d'atout).
V - Linguistique Sens d'un mot limité ou
précisé.
VI- Peinture Qualité d'un ton plus ou moins foncé.
Thème de
nos réflexions
Première
approche
Empruntons au philosophe Serge
Carfantan une
définition de ce que nous souhaitons examiner plus
particulièrement: "une valeur est ce qui fait
l’objet
d’une préférence, ce qui est
estimé,
préféré ou
désiré par un groupe de
sujets déterminés. Par exemple, pour un
aristocrate, la
noblesse constitue une très haute valeur. Toute valeur, de
ce
point de vue, est sociale. Il n’y a pas de valeur strictement
individuelle et les jugements de valeur ont un caractère
collectif "
Diverses
catégories de valeurs
Ce qui suit, largement emprunté à Serge
Carfantan, se
rapporte spécifiquement au contexte d'un pays
développé comme la France.
1-Valeurs
économiques
La réussite sociale est une valeur explicitement et
largement
partagée dans le monde anglo-saxon et plus
généralement les groupes influencés
par
"l'american way of life", c'est à dire en pratique une
grande
partie de l'humanité actuelle.
Dans le langage courant, le mot valeur évoque
immédiatement l'argent. Implicitement c'est avec l'argent
qu'on
peut obtenir certaines autres valeurs.
Les valeurs clés sont gain, profit, argent. Pour en rendre
compte de façon moins simpliste, on a aussi
distingué
valeur d'usage et valeur d'échange. On étudie les
facteurs qui contribuent à la formation de la valeur :
matières premières, travail humain, capital,
savoir-faire
et, bien sûr, le rapport de l'offre et de la demande.
Les valeurs économiques s'inscrivent dans une logique de la
dualité : luxe/austérité,
richesse/pauvreté, gain/perte, abondance/misère,
réussite/échec...
2-Valeurs vitales
Si l'on interroge le grand public sur ce qui est important pour lui, on
constate que la santé est souvent citée en
premier. La
santé se rattache à la valeur centrale de la Vie.
Préalable à la santé, n'oublions pas
la nutrition.
C'est une valeur qui a été un peu perdue de vue,
mais
à laquelle on revient.
Les professions de santé constituent un secteur
économique important, qui mobilise une part significative du
PIB
au fur et à mesure que la richesse intérieure
s'accroît.
La préférence pour tout ce qui touche la
Santé et
le Bien-être englobe le penchant répandu
vers les
médecines parallèles, le sport, la gymnastique et
les
disciplines de maîtrise corporelle.
A l'époque post-moderne la valeur centrale est le Plaisir.
Depuis Freud, nous savons que c'est une pulsion vitale. D'où
le
plaisir sexuel, gourmand, ludique, le frisson des émotions
fortes.
Se rattachent enfin aux valeurs vitales, les valeurs de respect de la
Nature, protection de l'environnement.
Citons encore Serge Carfantan: "notre attachement à la
valeur
vie se traduit aussi par la virulence des polémiques autour
de
sa remise en cause : l’euthanasie, le rejet du suicide,
l’horreur de la mort, la révolte contre la guerre,
le
rejet de la douleur, des mutilations, de la torture etc."
Les valeurs vitales s'inscrivent dans une logique de la
dualité : vie/mort, sain/morbide ...
3-Valeurs morales
Dans le passé on parlait de "vertus" individuelles. On peut
citer la grandeur, l’honnêteté, la
droiture, la
véracité, le courage, le sens de la
responsabilité, etc. Nous reconnaissons collectivement dans
ces
vertus des valeurs qui méritent notre respect.
"Le code moral de la chevalerie, le code d’honneur des
samouraïs, la charte des compagnons du devoir, supposent
l’attachement a des valeurs morales. Il est entendu ici que
les
valeurs sont enveloppées dans un idéal commun. On
voit la
différence avec la catégorie des valeurs
économiques en ce que la valeur implique ici une
pureté d’intention, une
générosité,
un don de soi qui se situe à l’opposé
de la valeur
économique. Le don n’est pas
l’échange. "
On peut dans cette catégorie ajouter les valeurs morales qui
ont
une dimension politique forte : la liberté,
l’égalité, la fraternité, la
solidarité, la suprématie du droit etc.
Enfin, c’est aux valeurs morales que se rattachent les
valeurs
religieuses. Les valeurs religieuses ne constituent pas en fait une
catégorie à part, mais une manière de
fonder les
valeurs morales différemment, en les appuyant sur une
autorité incontestable. Celle du texte sacré,
celle de
Dieu.
Les valeurs morales sont très marquées par la
dualité, car chacune sous-tend l'opposition Bien/Mal :
valeur/non-valeur, vertu/vice, courage/lâcheté,
honnêteté/malhonnêteté,
véracité/mensonge,
responsabilité/irresponsabilité,
liberté/servitude,
égalité/inégalité, etc."
4-Valeurs
esthétiques
"L’homme a besoin de s’entourer de
beauté tout
autant qu’il a besoin de pourvoir à sa propre
survie
matérielle. Nous attendons de l’art
qu’il
élève l’homme intérieur et
le sorte de sa
brutalité ordinaire. Le sublime de Shakespeare, la
naïveté et le charme d’Homère,
la perfection
de Bach, méritent largement que l’on consacre sa
vie
à vouloir les communiquer ... Les valeurs
esthétiques ne
sont pas soumises à une emprise de la pensée
duale aussi
forte que les valeurs morales. "
On remarque cependant que cette moindre dualité beau/laid
est le
résultat d'un processus permanent d'adaptation aux
innovations
artistiques. Au début les premiers tableaux
impressionnistes,
les œuvres de Picasso, ont été
traités de
tous les noms d'oiseaux. Mais le goût s'éduque. Il
s'éduque même sélectivement selon des
critères mystérieux, qui tiennent probablement de
la
répétition des informations transmises. En
France, nous
ne donnons pas la même valeur esthétique aux
impressionnistes français, aux suiveurs
américains, et
aux copieurs russes contemporains. Et pourtant un tableau russe de
style impressionniste, objectivement c'est très beau
!
5-Valeurs
intellectuelles
"Notre époque parle dans le langage de la science, comme
d’autres époques ont parlé dans le
langage de la
philosophie ou dans le langage de la religion. S’il est une
chose
qui pour nous a une valeur suprême, c’est bien la
pensée. La culture occidentale est avant tout une culture
intellectuelle. Une culture qui est aussi marquée, depuis la
modernité, par l’approche objective de la
connaissance que
constitue la science. De fait, la vérité, la
clarté, la rigueur, la cohérence logique, la
fécondité intellectuelle,
l’objectivité, par
exemple, sont effectivement des valeurs auxquelles nous tenons et pas
seulement des exigences formelles. Notre éducation est un
héritage de la Modernité et des valeurs
intellectuelles
qu’elle nous a laissé."
Les valeurs intellectuelles sont soumises à la
dualité
... Vérité/erreur,
clarté/obscurité,
cohérence/incohérence,
objectivité/subjectivité, savoir/ignorance etc.
Les valeurs intellectuelles sont la source des idéologies.
Elles
sous-tendent volontiers le passage de la discussion à la
dispute.
6-Valeurs
affectives
On peut ranger sous ce vocable l'amour, l'amitié,
le bonheur...
Les valeurs liées à
l’affectivité sont probablement celles auxquelles
nous tenons le plus.
Les valeurs affectives sont elles aussi marquées par la
dualité : attachement/haine bonheur/malheur,
amitié/inimitié,
sensibilité/insensibilité
etc.
°
° °
Deuxième
approche
Si l'on s'en tient à la définition
donnée
par Serge Carfantan, les valeurs seraient par essence des concepts
collectifs, autrement dit sociaux.
Il semble qu'il y ait une autre définition possible : des
valeurs plus privées, plus intimes, ce qu'on
appelle
généralement les valeurs spirituelles.
Disons que ce sont des valeurs qui ont à voir avec la
liberté inhérente à tout
être humain.
Valeurs qui ont à voir avec la conscience de chacun, valeurs
qui
influencent mon comportement, mon action.
En ce sens elles vont souvent s'extérioriser dans le champ
des valeurs sociales, mais ce n'est pas automatique.
Pour les croyants elles relèvent de la dignité de
la
créature à l'image de Dieu. Pour les humanistes,
de la
quête de plus d'humanité.
Finalement ces valeurs sont relatives notre capacité
à
discerner le Bien du Mal et notre liberté de
préférer le parti du Bien.
On pourrait citer en vrac:
L'émerveillement devant la Nature, le Vivant, l'Homme et
pour les croyants devant Dieu.
La joie de vivre , la félicité.
Le respect de soi, l'estime de soi.
L'esprit d'enfance.
Le discernement et la confiance.
Le respect des autres, la tolérance, la
générosité, la politesse, la
bénévolence.
La loyauté et le sens de l’engagement pris.
La maîtrise de soi (face à ses pulsions, y compris
sexuelles).
La volonté , l'effort personnel.
La reconnaissance de ses erreurs et fautes...
On pourrait aussi adjoindre:
La satisfaction du travail bien fait, le sens du devoir.
L'esprit de pauvreté.
L'esprit de service.
L'esprit d'équipe.
L'esprit d'aventure, le goût du risque...
Les valeurs individuelles ont un rapport avec nos comportements
personnels, et sous-tendent ce qu'on nomme communément
motivation, c'est à dire ce qui nous fait mouvoir.
Les valeurs individuelles ont un rapport avec la méditation,
et pour certains la contemplation.
Il paraît clair que la méditation n'est pas
seulement une
affaire d'esprit. De diverses sources nous savons qu'elle engage toute
la personne, corps et esprit ( récits des grands mystiques,
techniques religieuses de méditation, techniques de
maîtrise corporelle...).
La force des valeurs spirituelles personnelles, c'est que l'individu
sain d'esprit est conscient de ce qu'il porte en lui l'aspiration au
Bien et le penchant au Mal. L'individu sain d'esprit arrive
à
assumer cette dualité, par la grâce de Dieu ou par
la
recherche de son unité intérieure. Il est en
relation
avec lui même comme avec les autres.
Un prêtre exorciste de Bordeaux disait que celui qui a perdu
cette relation avec lui même, celui qui n'atteint pas cette
cohérence intérieure, est
possédé par
le Diable, diabolisé au sens étymologique ( dia
boleïn = éparpiller, jeter, disperser). Il souffre.
Il peut
aussi sombrer dans la mélancolie. Nos éminents
psychiatres et analystes ici - présents vous le confirmeront.
°
° °
Cette double
classification valeurs
sociales et valeurs personnelles est probablement commune à
de
nombreuses spiritualités et philosophies.
Elle est rappelée dans de nombreuses encycliques, qui, sans
exonérer les Etats et les collectivités de leurs
responsabilités, ont toujours très clairement
soutenu que
le moteur principal du progrès de l'humanité
c'était l'homme lui même, c'est à dire
chacun de
nous.