Le discernement
est-il une valeur ? d’aucuns pourraient le nier ; mais ce
faisant ne manqueraient-ils pas de discernement ?
Le Petit Robert, restons simple, cite parmi les
définitions des valeurs « ce qui est
vrai, beau, bien, selon un jugement personnel… »
Selon un « jugement personnel », nous voici au
cœur du discernement.
Paraphrasant la célèbre
tirade du poumon dans le Malade Imaginaire de Molière je
pourrais dire : qu’est ce qui me permet de jouir ou non de la
vie : LE DISCERNEMENT ; de choisir ses amis ou ses collaborateurs, le
discernement ; de distinguer le vrai du faux en politique ou en
matière d’information, le discernement ; de
chercher Dieu dans les textes et dans notre vie, le discernement vous
dis-je…
Plus sérieusement, je retiendrais
volontiers une définition donnée par le journal
« Réformé »
« Discerner l’essentiel de
l’accessoire, les enjeux fondamentaux derrière les
multiples évolutions, les vrais débats des
fausses querelles. Discerner c’est résister au
conformisme ambiant, se donner les moyens de regarder en face la crise
de sens que traverse notre époque. Dans une profusion
d’informations, le discernement est une exigence citoyenne
autant qu’évangélique »
Laissant de coté le discernement
synonyme de « retenue » «
modération », je ferai un survol de domaines
où l’on se doit de faire preuve de discernement:
1) Distinguer le VRAI, COMPARER, JUGER :
Distinguer le vrai du faux, trouver la «
vérité vraie » comme on dit parfois,
implique une prise de recul, mais aussi une culture, une
éducation.
Cette attitude de recul de discernement permet de voir, de
percevoir les valeurs, les antivaleurs, les convictions.
Dans un monde qui devient de plus en plus complexe, la
possibilité de prendre du recul augmente avec les
compétences.
C’est la tête bien faite
plutôt que la tête bien pleine.
C’est le diagnostic du
généraliste au lieu de la multiplication des
analyses et des recours aux spécialistes.
C’est le rôle du juge qui doit discerner
le vrai du faux et tenir compte de l’homme et du contexte
dans lequel il vit. Bossuet disait : « le discernement est la
principale fonction du juge, et la qualité
nécessaire du jugement. »
Pour aider les enfants à acquérir peu
à peu le réflexe de choisir, donc
apprécier plusieurs éléments avant de
se décider, il est recommandé de leur permettre
très tôt de faire des choix simples,
d’acquérir des compétences et non de
simples connaissances.
2) S’INFORMER de façon si
possible pertinente et en évitant d’être
noyés par la sur-information/désinformation
C’est un des problèmes les plus difficiles
à l’époque d’Internet et des
innombrables journaux, supports
publicitaires ou télévisuels.
Certes les bons conseils en la matière ne
manquent pas. Tout demande à être
vérifié et pour cela il
faut entrer dans une neutralité de principe. Faire preuve
d’esprit critique, adopter
une attitude de doute systématique qui a de tout temps
été pratiqué et enseigné.
Je crois cependant utile d’insister car le volume
d’informations à traiter n’a jamais
été aussi
important. Bien sûr, il faudrait
traiter ce sujet en détail et le temps manque.
J’ai trouvé sur Internet (
www.kafkaiens.org)
des conseils pertinents :
- attacher plus d’importance aux écrits
de référents », de gens dont
la compétence et
l’impartialité est reconnue, et plus
généralement essayer de connaître
l’auteur d’une information et la date.
- confronter les résultats de recherche sur
différentes sources et auprès de plusieurs
référents
- se former, car beaucoup de sources sont
cachées, rediffusées avec des
altérations, et il faut quelques connaissances techniques et
un peu de pratique pour ne pas prendre pour de l’Information,
ce qui n’est qu’une position personnelle de
l’auteur, ou un montage commercial. Cela permet aussi
partiellement d’éviter les spams, messages non
sollicités.
On retrouve donc pour Internet ce qui était
déjà vrai pour la presse écrite ou la
télévision : multiplier les sources, en les
choisissant de tendances différentes, voir
opposées ; comparer avec les connaissances que
l’on a par ailleurs : par exemple, des affirmations
erronées dans un domaine que l’on
connaît permettant de douter de la
véracité et de l’objectivité
de ce qui est dit par ailleurs sur le même support (Le Monde
par exemple pour moi) ; utiliser les résumés que
l’on trouve sur beaucoup de sites, pour ne lire que des
articles qui à priori nous intéressent ;
Quoiqu’il en soit, les incertitudes se rapportant
à la falsification d’une information ne peuvent
être totalement levées : c’est la
rançon de la liberté, et il n’est pas
possible de contrôler sans opprimer. (Chine)
Tout ceci est valable pour tous les domaines, même
dans le domaine scientifique par exemple. On pourrait penser que
l’existence de revues très sérieuses,
de thèses d’Universite, d’Instituts de
grande réputation, rend plus facile de discerner la science
de la pseudoscience. Les médias, et malheureusement certains
experts peu scrupuleux présentent comme acquis des
résultats plus ou moins espérés, et
bâtissent même de fausses théories, qui
peuvent séduire. Dans le domaine médical ces
dernières années ont été
riches en annonces de ce genre, mais c’est
également vrai dans les sciences de la nature et
même dans les sciences exactes.
S’informer avant d’agir, est
également nécessaire dans le domaine social et
humain. Je ne prendrai que l’exemple du recours à
la générosité publique en rappelant
les innombrables sollicitations auxquelles nous sommes soumis ou
l’appel aux sentiments cache souvent
l’inacceptable.
3) SAVOIR S’OPPOSER A LA PENSEE DOMINANTE :
Nous venons de vivre une période politiquement
très active, au cours de laquelle il
y eut un débat d’idées ou à
tout le moins une amorce. Beaucoup de choses
ont été dites, et il fallait discerner, en
fonction de l’auteur, du contexte,
des pesanteurs….
Le discernement en politique a fait l’objet de
doctes traités depuis longtemps mais c’est surtout
SPINOZA dans l’ETHIQUE qui a
présenté « la philosophie de
la pensée alternative » contre la
pensée dominante.
SPINOZA a écrit « rien n’est
possible sans le développement de totes les
capacités de la critique, de l’argumentation, de
la démonstration »
Sa philosophie revendique la controverse, à
condition de donner des raisons fortement articulées.
On est loin de « s’opposer pour exister
» de certains hommes politiques !
4) PREVOIR L’AVENIR :
Je citerai un extrait de Gustave LE BON (1841-1931) que
j’ai trouvé bien adapté. « En
matière de prévision, le jugement est
supérieur à l’intelligence.
L’intelligence montre toutes les possibilités. Le
jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le
plus de chances de se réaliser »
On ne peut qu’être d’accord
mais comment développer le jugement des gens, leur
discernement, face à la prolifération des sectes,
des gourous, des experts, qui abusent de leur
crédulité. Comment éviter la perte
d’une partie de son bon sens, à force de lire et
voir à la télévision des programmes
stupides… ?
La prévision de l’avenir, qui doit en
partie au moins orienter nos vies, est donc un art difficile. On verra
avec intérêt ce que dira et fera Jacques Attali
qui a écrit récemment « Une
brêve Histoire de l’Avenir » et a
formulé des propositions en fonction de la vision du
futur…Devenu Président d’un goupe de
Sages, parviendra t-il à faire partager cette vision ?
5) DISCERNER les QUALITES de L’HOMME :
Discerner c’est percevoir l’invisible,
aussi bien chez le proche que chez l’artiste, le
créateur, celui qui a une vision du monde.
C’est apprécier ses amis : Plutarque
consacrait déjà un chapitre à
« comment discerner un flatteur d’avec
l’ami.. »
Plus généralement, c’est ce
que dirait Martin Luther King « L’homme bon ne
regarde pas les particularités physiques, mais sait
discerner ces qualités profondes qui rendent les gens
humains et donc frères »
Arrivé à ce point, je ne peux
éviter de m’engager sur un terrain plus dangereux,
car plus personnel et sans doute perçu de façon
différente par chacun … Je me sens cependant
conforté par le fait que si vous tapez sur Google
« discernement » vous trouvez surtout des positions
et des textes religieux. C’est un fait qui m’a
étonné dans notre monde matérialiste.
Je suis aussi incité à poursuivre au vu de la
réaction de certains d’entre nous, quand
j’ai dit que j’allais parler du discernement Donc :
6) DISCERNER C’EST CHERCHER DIEU dans le MONDE et
dans nos VIES
Le discernement spirituel suppose une attitude
d’ouverture : il implique une écoute, un
dépassement du domaine sensible. Il complète le
discernement simplement humain, fondé sur
l’intelligence, la compétence, la
raison…
Il nous fait nous ouvrir, exercer notre liberté
d’appréciation et de décision. Il peut
certes y avoir des limites à cette liberté,
limites que nous nous imposons ou qui nous sont prescrites (position du
Pape Benoît XVI sur le non négociable avant les
élections récentes…). De toute
façon, on retrouve plus fort encore ce que nous disions au
début : formation, compétences, respect des
valeurs fondamentales sont des pré-requis pour exercer notre
liberté.
Je pense que tout le monde peut faire ce cheminement et
chercher l’invisible dans le monde et dans sa vie.
L’Invisible
mais quel invisible ?
Nietsche l’identifiait au Néant,
Spinoza à la Nature, les croyants à une
Divinité ou à un Dieu…
Discerner les Signes des Temps comme dit le Père
Cadoré
(www.daxdominicaines.org) est bien difficile.
Pour les religions du Livre, les textes sont une
aide… mais chercher n’est pas trouver…
Déjà dans la Genèse, on
lisait « La nuit j’ai cherché celui que
mon cœur aime, mais je ne l’ai pas
trouvé… »
Dans les Evangiles, j’ai toujours
été interpellé par le récit
des Compagnons d’Emmaüs, qui ne reconnaissent le
Christ que quand il avait disparu… et ceci bien que
Jésus ait pris la peine en chemin de leur expliquer tout ce
qui le concernait dans les textes de la Bible.
Que dire aussi, malgré son émotion de
Marie Magdalena, qui voyant le Christe qu’elle a suivi
pendant des années et qu’elle prend pour le
jardinier..
Chacun peut en tirer la conclusion qu’il veut.
Pour moi ceci confirme que Dieu ne répond pas
immédiatement à l’appel de
l’homme et pas sous la forme où il
l’attend.
Que dire des lettres bouleversantes de Mère
Térésa révélées
récemment qui montrent qu’elle a
cheminé la majeure partie de sa vie sans réponse
de Dieu, on pourrait dire sans la Foi.
Ceci me semble un encouragement formidable pour rechercher
dans nos vies, pour discerner les réponses de Dieu
à nos doutes et à notre quête.
Je terminerai par cette citation : « La
Parole est porteuse de l’Esprit de Dieu, Esprit de
discernement et d’Amour »
P.S Pour ceux qui voudraient aller plus loin sur ce dernier
aspect, je signale qu’il y a une encyclique de Jean Paul II
du 6 août 1993 « Veritatis Splendor » qui
parle du discernement dans l’Eglise. (texte
intégral sur
www.vatican.va)