(Echanges. Contribution Jean Dbkr. Septembre 2007)
L'art
A la
différence de la plupart des exposés que nous
avons entendus, mon propos, très largement
emprunté dans des lectures, n’est pas de
l’ordre du rationnel mais du subjectif.
Il fait appel à la seule « EMOTION », il
est donc parfaitement contestable, il sera court et selon moi,
n’a d’intérêt que par les
réactions et les questions qu’il
entraînera.
Pour nous mettre dans l’ambiance, écoutons pendant
4.06 minutes la transcription donnée par BUSANI du Choral
BWV 599 de Jean Sébastien Bach joué quelque temps
avant sa mort par Dinu Lipatti ( 1917-1950) ( dont Yehudi Menuhin
disait qu’il était «
l’affirmation d’un royaume spirituel,
résistant à toute douleur ou souffrance
»)
Les VALEURS et les « DIFFERENCES » Ces deux
thèmes très généreux,
très vastes peuvent se rejoindre dans l’ART.
En effet pour certains l’ ART sous divers aspects est
considéré comme la valeur par excellence, la
valeur suprême. En même temps si l’on
s’intéresse si peu que ce soit à ce qui
est artistique, n’est-on pas frappé par
l’immensité des différences que
l’on rencontre d’une œuvre à
l’autre, que ce soit en architecture, en peinture, en musique
etc.
Chaque œuvre d’art est unique, elle est
différente des autres, en même temps on la
qualifie d’œuvre d’art parce
qu’elle évoque dans notre esprit les
idées d’achèvement,
d’unité, de plénitude.
En disant cela je pense au choc que fût, pour nous,
l’arrivée pour la première fois
à ARC et SENANS. Je pense aussi à la
prière de St Bernard, le souvenez vous de Massenet,
l’incroyant suivi par la voix de Françoise Pollet.
Je pense également au morceau de Bach joué par
Dinu Lipatti que nous venons d’écouter.
Je voudrais aussi rappeler la joie que j’ai
éprouvé en relisant le poème
« La Vierge à Midi » de Paul Claudel que
nous avons tous étudié, il y a quelques 50
années et que j’ai redécouvert
début juillet en lisant le message de vacances de la
délégation de Paris de «
Lourdes-Cancer-Espérance » (texte joint)
C’est Dostoiewski qui a dit « la beauté
sauvera le Monde »
Souvenons nous de la mythologie : Prométhée,
enchainé sur son rocher, est interrogé par les
filles de l’Océan. Il reconnaît
qu’il a fait aux hommes un don immense en leur apportant le
feu d’où est sorti l’intelligence qui
domestique le monde et qui a permis la naissance de la Civilisation. Et
il ajoute « je leur ai fait un cadeau bien plus
grand encore, je leur ai donné l’ILLUSION qui les
amène à oublier leur destinée et la
mort ».
Mais revenons à nous autres, petits périgourdins
d’occasion.
En face du mal, de l’usure, en face de la lassitude, de la
maladie ou simplement de la fatigue, où retrouver un peu
d’espoir ?
Du coté du SAVOIR ? Il est vrai que l’explosion de
la connaissance est fabuleuse. Pensons par exemple à la
médecine. En une vie d’homme ou un peu plus,
l’espérance de vie a doublé. Et
pourtant l’angoisse de la vie et de la mort ne sont-elles pas
restées dans notre cœur ? Comme l’a dit
un philosophe à quoi bon aller sur la lune si
c’est pour s’y suicider.
Du coté du POUVOIR ? toutes les politiques promettent
d’être contre le Mal mais aucune ne procure
vraiment le Bien.
Du coté de la SAINTETE ? sans doute mais aucun
d’entre nous n’en est encore là.
Alors resterait la Musique, la Poésie, l’ ART ?
L’art peut-il nous délivrer de nos angoisses, nous
libérer de nos illusions, répondre à
la tentation du désespoir ?
Quelques citations :
Rimbaud, le poète, écrit en parlant de son
quotidien « la Vie est absente »
Sartre nous dit « la vraie vie commence au
delà du désespoir »
Bernanos le chrétien nous « invite à
désespérer de nos illusions. Le
désespoir est ainsi au service de l’Espoir
»
Claudel encore lui écrit « c’est ce que
vous comprenez qui est le plus beau »
Et Shakespeare « méfie de celui qui
n’a pas de musique dans l’âme,
c’est un maître »
On ne saura jamais pourquoi certains entendent la musique et
d’autres non. On est toujours
émerveillé de la musique que certains entendent
et que nous même nous ne percevons pas. La certitude que nous
ressentons est que les êtres et les choses ont une certaine
musique.
Dans l’Idiot de Dostoiewski le prince Mouchkine est
ébloui par le sourire d’un enfant, il interroge sa
mère qui voit dans le sourire de son enfant le «
reflet de Dieu »
Revenons à l’œuvre d’Art pour
nous demander quelle est la nature du choc inaltérable de la
beauté que chacun éprouve de façon
inexplicable.
Pour Platon « La beauté est la splendeur du Vrai
». Le Vrai s’il est vrai est le rayonnement de
quelque chose comme le miroir qui ne peut pas ne pas renvoyer le Soleil.
Personne ne peut résister à certaines attirances,
un visage, un paysage, un poème, un tableau, une phrase
musicale. Il y a donc parfois dans les choses un certain «
plus » que l’artiste et le poète
ressentent mieux que nous.
Encore un exemple « les jardins japonais
» Ils sont entièrement fabriqués. Il a
fallu des décennies, souvent des siècles et
l’intervention de l’homme pour en faire des
œuvres d’art. Quand on les contemple comme on voit
des tableaux on voit la nature mais en même temps autre
chose. En réalisant ces jardins les artisans jardiniers ont
vu ce qui est en même temps autre chose
qu’on ne voit pas.
La fascination du Beau nous pousse à dépasser ce
que l’on voit, à remonter plus haut que ce que
l’on voit.
Encore une citation, cette fois ci de Jean-Paul II dans sa lettre aux
artistes : « l’Art, quand il est
authentique, a une profonde affinité avec le monde de la
Foi, à tel point que même lorsque la culture
s’éloigne considérablement de
l’Eglise, il continue à constituer une sorte de
pont jeté vers l’expérience religieuse.
Parce qu’il est recherche de beauté fruit
d’une imagination qui va au delà du quotidien
l’Art est par nature une sorte d’appel au
Mystère. »
C’est Van Gogh qui se confie à son
frère Théo en lui écrivant :
« Je puis bien dans la vie et dans la
peinture me passer du Bon Dieu, mais je ne peux pas , moi,
souffrant, me passer de quelque chose qui est ma vie : la puissance de
crier »
Pas plus qu’on ne peut réduire l’Art
Moderne au seul débat entre le dessin et la couleur, il
n’est pas possible de le limiter à la controverse
entre la représentation de la nature et
l’imitation de la nature, la photographie d’un
sujet d’une part et l’abstraction du
réel ou l’abandon de tout sujet d’autre
part.. Le dialogue n’est pas entre la présence ou
non d’un objet, entre la transcription d’un
état d’âme ou d’une musique
intérieure et la priorité du réel.
Nous savons bien que l’essentiel est la conscience explicite
de la puissance de crier.
Pour résumer on peut dire que tout est ici dans le ressenti
dans ce que je vois, dans ce que j’entends.
Dans l’Art souvent, les œuvres même
géniales se taisent pour laisser place à ce qui
nous dépasse, certains iront même pour laisser
place à une présence.
Prenons comme exemple Haydn et la symphonie des Adieux dont
l’effet est toujours saisissant : la salle est dans le noir,
avant la première mesure on a allumé sur chaque
pupitre deux chandelles. La symphonie se déroule sans
problème jusqu’au 4ème mouvement. Alors
discrètement un haut bois et un cor soufflent les
lumières de leurs pupitres et s’en vont sur la
pointe des pieds. Puis un violoncelle et la contre basse, puis
l’autre haut bois et l’autre cor s’en
vont, puis les violons et les altos 2 par 2 et les 2 derniers
violoncelles disparaissent dans le noir. La musique devient de plus en
plus ténue et paradoxe, de plus en plus présente.
Lorsqu’on entend cette symphonie pour la 1ère fois
sans être averti, on se demande jusqu’ou ira le
départ des musiciens. Il ne reste plus que six violons, puis
4 , enfin 2 seuls et le chef.
Ils poursuivent dans la seule clarté des deux
dernières chandelles et la musique est d’autant
plus intense. Le silence dans la salle est infiniment plus recueilli.
Deux violons et le chef d’orchestre et l’on sent
que le second violon met toutes son attention à suivre le
premier.
Il s’agit d’introduire au Silence.
Il ne reste que deux violons.
Et si nous étions le second violon qui au cœur de
la nuit joue sa partition, pour prendre place dans la musique de
l’Univers tout entier et donner ainsi un sens à la
Vie ?