LES FAUX MONNAYEURS
Ce sont des artistes,un peu des aristos
Au regard doux et triste, noyé d’indigo,
Qui signent, qui signent, qui signent en rêvant,
Des liasses, des liasses, de billets de mille francs
Quelque part nous sommes tous des faux monnayeurs.
Pour s’en convaincre, il est nécessaire de bien comprendre ce qu’est la monnaie et quel est son rôle.
La monnaie, c’est l’intermédiateur des
échanges de biens et de services. Son rôle est exactement
le même que celui du lubrifiant qui permet à un
mécanisme de fonctionner. Pas assez d’huile et le
mécanisme grippe. Trop d’huile et le mécanisme peut
surchauffer. Les ingénieurs le savent : au lieu de
s’ordonner gentiment en couches laminaires qui glissent les unes
sur les autres, l’huile en excédent va former de petits
tourbillons indisciplinés qui transforment de
l’énergie mécanique en chaleur.
La monnaie en quantité suffisante peut être
qualifiée de « bonne monnaie ». En quantité
excessive, elle devient de la « mauvaise monnaie ».
On a coutume de dire que la mauvaise monnaie chasse la bonne. Disons
plutôt qu’elle la submerge, parce qu’il est difficile
de distinguer la bonne de la mauvaise monnaie.
Traditionnellement, la monnaie émise par les banques centrales
est considérée comme bonne. Celle issue de la
contrefaçon, comme mauvaise.
Les banques centrales essayent de maintenir leur monopole en marquant
les billets authentiques pour qu’on puisse les distinguer des
billets contrefaits.
Mais si un jour la quantité de faux billets dépassait de
beaucoup celle des billets émis par le monopole d’Etat, il
serait bien difficile de refouler les faux billets qui se seraient fait
une place dans l’économie réelle.
On peut même prédire que, suivant la loi naturelle selon
laquelle ce qui est rare est cher, le cours des vrais billets
deviendrait supérieur à leur valeur faciale.
Involontairement, les banques centrales seraient devenues pour le moins
complices des faux-monnayeurs, puisqu’elles profiteraient de la
plus-value de leurs billets !
Caractéristiques de la fausse monnaie
En fait, il n’y a pas besoin de contrefaçon pour
générer de la mauvaise monnaie. J’entends par
mauvaise monnaie, la part de cet intermédiateur qui est
utilisée à des échanges dont on pourrait se
dispenser, à des échanges non vitaux.
Les exemples de mauvaise monnaie « officielle » ne manquent pas dans l’histoire de France.
Les rois, pour renflouer leur trésor, ont constamment
procédé à la diminution du poids d’or et
d’argent contenu dans les pièces de monnaie, tout en
gardant la même appellation et la même apparence.
L’Eglise de Rome décide de confier au roi le
dixième de ses revenus, qui étaient importants à
cette époque, pour lui permettre de lever une armée et
reconquérir la Terre Sainte. Au bout de dix ans, toujours pas de
croisade. Le roi avait utilisé cette subvention pour financer
ses propres guerres de conquête et agrandir son royaume.
Au XVIIIème siècle, avec l'aval du Régent, John
Law vend du rêve d'enrichissement facile puis fait banqueroute.
Un peu plus tard, la Révolution Française confisque les
biens du clergé, les monétarise sous forme d'assignats,
se laisse aller aux facilités de la planche à billets et
le système fait naufrage.
En fait, le début de la falsification est très ancien.
Selon certains auteurs, il remonte aux civilisations de
Mésopotamie, quand pour la première fois, la monnaie est
devenue une marchandise qui pouvait elle-même faire l’objet
d’échanges et donc avoir un prix. Le prêt à
intérêt était né. Une invention qui a
rarement fait l'unanimité chez les emprunteurs populaires.
Cette marchandisation de la monnaie, plus récemment suivie de la
marchandisation de divers produits financiers, est à
l’origine de bien des déboires. On remarque qu’elle
permet de créer une masse de monnaie qui échappe peu ou
prou au contrôle des autorités impartiales.
La Bourse, au départ inventée pour permettre aux
agriculteurs de mobiliser les moyens nécessaires au
fonctionnement de leur exploitation en attendant les récoltes et
les revenus de leur vente, rôle utile s’il en fut, a
généré les excès que l’on
connaît. Elle est devenue le temple de la fausse monnaie. La
multiplication du nombre des acteurs, non seulement primaires mais
surtout intermédiaires, n’y est pas
étrangère.
Autres falsifications
Mais il y a plus subtil encore. L’art de la fausse monnaie
s’étend bien au delà de la sphère
économique. Il touche aussi le domaine des échanges
intellectuels, affectifs et spirituels.
Quelques exemples :
Dans l’art de gouverner les peuples, on sait depuis toujours
qu’il faut un lubrifiant, nommé espérance
d’un sort meilleur, et un frein, la crainte du gendarme.
Dans l’art de diriger les âmes occidentales, les deux
écoles se sont affrontées : crainte de la punition
éternelle ou espérance d’une récompense
après la mort.
Dans l’art difficile de se gouverner soi-même …dans
celui de vivre en couple... et en famille... l'intermédiateur
des échanges me semble la communication verbale. J'ai lu quelque
part que nous sommes des culs-de-jatte de ce type de
communication. Heureusement, avec nos proches, la communication non
verbale reste bien partagée.
Passage de l’artisanat à l’industrie
La division du travail remonte sans doute à la période
néolithique. Elle a entraîné la
nécessité d'un intermédiateur pour surmonter les
limitations du troc. Au stade primitif on retrouve des coquillages, des
petits objets gravés, du sel... les premières monnaies
métalliques apparaissent vers 650 B.C. en Asie Mineure.
L’ère industrielle a commencé avec le taylorisme,
c’est à dire le morcellement planifié des
tâches…Au départ inventée pour produire des
objets matériels, cette organisation s’est étendue
à la production de services immatériels.
De l’Ouvrier Spécialisé on est passé
à l’Opérateur Spécialiste, en particulier le
Fonctionnaire Consciencieux qui expédie les trains à
Auschwitz, le Logicien Logique qui échafaude des martingales
pour spéculer en Bourse, le Mathématicien qui crée
un modèle et un logiciel d’analyse du risque permettant de
transférer à des machines le soin de spéculer.
Décortiquons ce dernier cas : on a tendance à faire
confiance aux experts et à tenir pour vraies leurs affirmations
et leurs prédictions. Ils omettent souvent de préciser
que leurs théories reposent sur l’hypothèse
implicite : « toutes choses étant égales par
ailleurs ». Le pas de la fausse monnaie est franchi.
Nous baignons dans la fausse monnaie
De tous temps, il y eu des individus manipulateurs. Les plus
doués sont devenus rois, empereurs, présidents de la
République ou papes. Je vous assure le pain et les jeux, et vous
me laissez faire tout le reste à mon idée.
C’était le stade artisanal de la création de fausse
monnaie politique.
D’autres sont devenus philosophes respectés,
poètes, auteurs à succès, leaders d’opinion.
Je vous donne les clés de l’avenir, ne prenez plus la
peine de penser par vous mêmes. C’était le stade
artisanal de la création de fausse monnaie intellectuelle.
De nos jours, la manipulation est devenue une industrie de masse, avec
sa hiérarchie dans l’échelle des tâches.
Pensons à la publicité, à la presse écrite,
à la radio, à la télévision. Ces industries
emploient plusieurs dizaines de milliers d'individus. Chacun croit
faire son métier consciencieusement. Chacun détient une
parcelle du pouvoir de manipulation des esprits. Un animateur de radio
se prend pour Dieu le Père. On est sur la piste de bobsleigh.
Toujours plus. Toujours plus vite. C’est l’audimat qui
mesure la qualité. Les rotatives de la fausse monnaie culturelle
tournent à plein.
Prenons le cas du poète ou du prophète. En temps normal,
son rôle est de nous faire entrevoir une partie de la
réalité qui nous échappe communément. La
monnaie qu’il génère est, sans jeu de mots, de bon
aloi. Elle sert à lubrifier l’évolution dans la
société des hommes à un instant donné.
Mais, s’il y a emballement, le risque de détournement est
grand. Les esprits surchauffés font les révolutions. Mais
au profit de quoi ? au profit de qui ?
Récemment, les futurologues ont remplacé les
prophètes. A-t-on gagné en sagesse pour autant ? Rien
n’est moins sûr.
Les prophètes étaient peut être fous, peut
être inspirés par une puissance supérieure. Les
futurologues gagnent leur vie en capitalisant sur les craintes des
humains ou sur leurs aspirations individuelles, ce qui les rend
suspects.
Mais faire miroiter que, grâce aux progrès de la science,
on pourra vivre jeune plus longtemps, sans souffrances, sans maladies,
n’est ce pas le sommet de la création de fausse monnaie ?
Pas tout à fait le sommet, puisque, grâce au
clonage, on voudrait nous faire fantasmer sur une sorte
d’immortalité individuelle artificielle. Quelle horreur !
Du coup les Papes manipulent la marche « arrière toute
». Je ne sais pas si leurs arguments sont valables, mais sur le
fond ils ont raison.
Le cas est exemplaire. Les faux billets de la consommation d’une
immortalité factice se répandent inexorablement. Les
billets authentiques, ceux des valeurs traditionnelles de
l’humanité, se font de plus en plus rares. Prendront-ils
un jour une valeur de collection qui leur rendra la place qu’ils
méritent ?
Même les garants de l’orthodoxie sont contaminés
Les considérations qui précèdent nous
amènent à constater que la communauté scientifique
est elle-même génératrice de fausse monnaie.
Particulièrement dans les sciences du vivant.
La deuxième moitié du XXème siècle a vu des
progrès impressionnants dans l’observation fine des
mécanismes du vivant. Le pourcentage de guérison de
maladies, autrefois mortelles, augmente constamment. Les chirurgiens
font du mécano avec nos organes. Avant d’être
clonés, nous en sommes pratiquement au stade de
l’entretien préventif et de l’échange
standard de nos organes vitaux.
Et tout cela grâce au cochon transgénique producteur d'organes compatibles.
Un jour vous verrez qu’on nous greffera un cerveau de reptile.
Vive l'évolution de l'espèce ! Espérons que cette
fausse monnaie sera retirée de la circulation avant qu'il ne
soit trop tard.
Nous sommes tous atteints
Ma petite fille, Claire, nous annonce qu’elle espère
gagner dix Euros si elle a la meilleure note de sa classe au prochain
devoir surveillé de mathématiques. Elles ont monté
une sorte de pari mutuel entre filles où chacune mise un Euro.
N’est- ce pas le début d’un circuit parallèle
de récompense ? Une contrefaçon en puissance ?
Et moi-même, qui me complais à écrire des contes
négatifs, soit disant pour éviter à d’autres
de mourir idiots, ne suis-je pas en train de battre aussi une sorte de
fausse monnaie ?
PJMB
Novembre 2008