Le Figaro Magazine du 4 avril 2009
Face-à-face entre André Conte-Sponville et Nicolas Tenzer (extraits)
André Conte-Sponville , philosophe, membre du Comité consultatif national d'Ethique depuis mars 2008…
Nicolas Tenzer, haut fonctionnaire, président du Centre d’Etudes pour l’action politique…
A.C-S …Le capitalisme n'est pas moral. Il fonctionne... à
l'intérêt personnel, disons le mot à
l'égoïsme, qui est la principale force motrice de
l'être humain. Il n'est pas non plus immoral, car chercher son
intérêt personnel n'est pas une faute. Il est donc amoral.
Nous sommes des individus... Nous avons besoin d'avoir une morale. Ne
comptons pas sur le marché pour être moral à notre
place.
N.T … La vraie question est de savoir si le capitalisme peut
être soumis à des règles venant du politique,
lequel définit le juste et l'injuste, concrétisés
par la suite dans des principes et des codes d'éthique
impérative....
A.C-S … Entre la force de l'économie et la faiblesse de
la morale, il n'y a guère que le droit et la politique qui nous
permette d'agir efficacement...le meilleur système
législatif ou réglementaire ne pourra jamais dispenser
les individus d'assumer une responsabilité proprement morale...
La thèse de l'éthique d'entreprise qui augmenterait la rentabilité est un bobard.
…L'éthique à sa place dans l'entreprise : celle
des individus qui y travaillent et, spécialement, qui la
dirigent.
N.T … Redécouvrir les règles fonctionnelles du
capitalisme, comme la transparence, le principe de fiabilité des
informations, l'absence de conflit d'intérêts. ...
A.C-S … Certes, mais ces règles fonctionnelles ne
suffisent pas. La liberté, la santé, la justice, la
dignité ne sont pas des marchandises....
Il faut imposer au marché des limites externes, non marchandes.
Les ultralibéraux à droite ont cru que l'économie
suffisait à tout, qu'il n'y avait quasiment plus besoin de
politique ni de morale.
D'autres, à gauche, ont cru que la morale et la politique pourvoieraient aux besoins de l'économie.
Ce sont deux erreurs. Il n'y a pas à choisir entre le
marché, la morale et la politique : on a besoin des trois ! La
crise actuelle nous le rappelle.
N.T … Mais qu'est-ce que ce capitalisme où l'on compte de
moins en moins de capitalistes ? un marché avec un certain
nombre de responsables qui profitent du système, non pas en
vertu des risques qu'ils prennent, mais des places qu'ils ont acquises,
par le jeu non transparent de réseaux.
Être passé d'un capitalisme de manager un actionnariat
dilué, où la rente est devenue la règle, est un
véritable problème...
L'utilisation de la richesse acquise. ... Grandes fondations
privées aux USA Institutions au Royaume-Uni et en Asie
… à méditer... La richesse acquise sur le
marché doit servir l'intérêt national.
Nicolas Tenzer stigmatise ensuite la confusion des genres et des intérêts en France.
Le système d'économie mixte à la française
sans transparence sur les nominations, la rémunération,
les actions, les missions, à cheval entre public et
privé, est profondément pervers. Ce n'est pas une
question de morale mais de justice.
A.C-S … d'accord sur la transparence, maispas d'accord sur la
morale qui s'effacerait devant la justice. La justice ce n'est pas
seulement le droit, c'est aussi une vertu morale.
Références à Aristote et à Kant.
N.T … D'accord, mais les lois, d'une certaine manière corrigent ou pallient l'absence de vertu.
Nicolas Tenzer poursuit son développement sur la situation en France.
Il reste le problème de l'autorité et de la
légitimité des institutions publiques et privées...
Comment profiter de cette chance extraordinaire que sont
l'économie de marché, le libéralisme et la
mondialisation pour faire en sorte qu'il y ait une
élévation des individus...
Nicolas Tenezer stigmatise les élites en France, qui restent cloisonnées.
Absence préoccupante d'interfécondation entreprise, fonction publique, politique, université, recherche...
Le Fig Mag relace le débat sur l’action du Président de la République
A.C-S … Interdire le travail des enfants, qui fixe la
durée maximum du travail, d'imposer les libertés
syndicales, c'est moraliser le capitalisme. Il y a longtemps qu'on s'en
occupe...
André Conte-Sponville critique le « volontarisme »
On ne commande au marché qu'en lui obéissant. Il ne suffit pas de vouloir. Il faut comprendre et agir.
N.T … Je crains toujours les discours non suivis d'effet.
... Il se félicite de la
création d'une commission indépendante pour les
nominations des plus hauts fonctionnaires.
Justice et impartialité vont de pair.